La structure, l’action et la moyenne idéale par Alex Demirović

Le premier numéro de la revue s’ouvre par l’article « La structure, l’action et la moyenne idéale » d’Alex Demirović dans lequel il expose le rapport entre action et structure, réinvesti par Marx de manière bien plus dynamique que les lectures déterministes ne le supposent. C’est par cette brèche que s’ouvre une voie émancipatrice dans un monde où la moyenne se trouve être la barbarie.

Paru dans le Cahier numéro 1 – 2022/1


Extraits:

Le texte de Marx est d’abord l’objet d’une pratique intellectuelle conventionnelle : lire, discuter, écrire. L’appropriation de sa théorie ne peut se faire autrement, mais elle ne se résume pas à une telle pratique, car la question se pose de savoir qui lit et discute les textes de Marx, de quelle manière, dans quelles circonstances et avec quels objectifs.

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Deux couples de concepts étroitement liés l’un à l’autre ont émergé de la discussion sociologique et cherchent à déterminer l’ensemble de la société. D’une part les notions d’intégration systémique et d’intégration sociale, et d’autre part de celles de structure et d’action. Dans les deux cas, on distingue un domaine systémique de la société, qui n’est pas déterminé par l’action des individus isolés, par leur compréhension du sens, par leurs objectifs et leurs représentations, mais qui semble même se détacher complètement de cette pratique, et un domaine de l’action sociale, dans lequel les interactions, les communications, les normes morales, les représentations que les individus ont d’eux-mêmes et des autres, sont centrales. La structure ou le système apparaissent comme l’aspect durable, persistant et déterminant de la société. Ils sont associés à l’ordre et à la stabilité. A l’inverse, l’action apparaît comme l’aspect dynamique et changeant d’une société.

[…]

La logique de la loi de la valeur et de la moyenne engendre donc la contradiction qu’il existe un changement et une dynamique tout comme une statique et un ordre, et que sans ce mouvement entre les deux, rien n’est possible dans les conditions existantes. On n’arrive ni à un système fermé par trop d’intégration, ni à un état de libre association. La logique de la moyenne exige justement, en tant que rapport qui n’est pas autodéterminé, le changement permanent des rapports sociaux et l’écart par rapport à ceux-ci. Il en résulte aussi régulièrement la tendance à l’action émancipatrice – elle est elle-même un élément fixe et régulier dans l’ensemble du processus de reproduction et d’auto-transformation de la société bourgeoise.

La radicalisation des pratiques qui remettent en question de manière critique les habitudes collectives polarise la société, crée une situation de non-identité officielle de cette société et conduit, à son tour, de manière régulière et à des niveaux historiques toujours nouveaux, à des tentatives de rupture. Les tentatives de rupture se répètent dans des constellations toujours nouvelles. Les tentatives d’émancipation elles-mêmes se socialisent historiquement et se multiplient. Elles englobent d’autres territoires, d’autres personnes, ne se limitent plus aux États, aux entreprises et aux économies nationales, mais englobent de nombreux rapports sociaux : les rapports d’exploitation, de nationalité, de genre, de racialisation et de nationalisation. Mais contrairement à ce que pensait Adorno, l’échec n’advient pas qu’une seule fois, la catastrophe et la barbarie n’ont pas eu lieu une fois pour toutes, mais l’échec se répète en moyenne : recul des droits de l’homme même dans les États civilisés, famine et maladie chez des milliards de personnes, génocides, destruction de la nature par l’homme à l’échelle planétaire. On ne sait pas comment cela va se terminer – mais cela non plus n’est pas une consolation. La moyenne est la barbarie, car ce qui est sacrifié ce sont les aspirations uniques de tous les individus et les individus eux-mêmes.